Prendre en compte les émotions dans une pédagogie intégrale
"Nous appellerons émotion une chute brusque de la conscience dans le magique. "
Jean-Paul Sartre
Lors de la croissance industrielle d'après-guerre, l'expression consacrée était "laissez vos émotions au vestiaire". La contention était de rigueur; désormais les affects et les émotions, la part personnelle, est convoquée au travail et en formation. L'intime est un capital comme les autres à exploiter dans la grande machine productive.
Une part des tâches est devenue invisible pour les « travailleurs du savoir ». Avec des activités de plus en plus interactionnelles et relationnelles, les émotions deviennent une part du contexte qui se gère comme se gérait et s'organisait la force de travail. Les management, les sciences et techniques, les dispositifs de formation concourent à engager émotions et désirs. La formation professionnelle n'échappe pas à cette irruption de l’émotion.
Les managers de l’âme
"Les managers de l'âme" est un ouvrage prémonitoire qui décrit la façon dont le management s'adapte encore et toujours à nos émotions et nos désirs, voire même les enrôle pour mieux nous asservir. Nous avons besoin d'affection, nous sommes inquiétés par la marche du monde; qu'à cela ne tienne, nos managers du bonheur s'occupent de nous rassurer en contrepartie de notre engagement. Le contrat de travail se transforme en contrat psychologique.
Le présent matériel, le partage du pouvoir et des bénéfices sont remplacés par la promesse d'un cocon émotionnel et d'un avenir plein de promesses. La logique transitionnelle de substitue aux enjeux immédiats. Les promesses d'évolution et de développement personnel marquent le passage où l’on se formait pour accomplir son travail à un autre ou l'entreprise surfe sur les désirs de se réaliser et d'apprendre. La domination du désir d'apprendre d'autrui est la face sombre de l'apprenance.
Les approches comportementalistes
Les approches comportementalistes et les conditionnements de niveau I et de niveau II sont remis au goût du jour par les neurosciences. Ces conditionnements visent par le déploiement de stimuli bien dosés à nous faire réagir de façon attendue. Dans un premier temps à la stimulation elle-même (conditionnement de niveau I), dans un second temps, après un temps d'accoutumance, simplement en étant plongé dans le contexte d'exposition des stimuli.
C'est notamment la stratégie des logiciels visant des apprentissages adaptatifs et personnalisés. Ce ne sont pas eux qui s'adaptent à notre progression, à l'inverse ils guident le chemin à suivre selon des itérations pré programmées.
Les mésusages des neurosciences
La connaissance de nos cerveaux développe chez certains professionnels du marketing et de la eformation des velléités de nous faire adopter leurs idées. Les téléspectateurs français se souviennent du "temps de cerveau disponible" d'un fils de pub. Voilà qu'une base scientifique s'impose et l'usage des biais de décision et de l'attente de récompenses devient légitime. L'incitation comme politique semble être une bon équivalent à l'anglicisme "nudge".
Ces sciences nourrissent-elles l'estime de soi, le sentiment d'efficacité personnelle, l'auto direction de nos apprentissages ou bien offrent -elles de nouvelles opportunités à certains de projeter leurs intentions sur nous? Ces sciences favorisent-elles l'apprentissage (processus) ou bien l'apprenance (attitude favorable au désir d'apprendre) ? Cela reste à démontrer. Et si elle cherche à capter nos désirs, n'est-ce pas en affaiblissant la liberté de choisir et d'accomplir par soi-même, clé du sentiment d'efficacité personnelle à la base de la motivation ?
Les technologies d'aspirateur émotionnel
- L’omniprésence des écransLa technologie est désormais l'un des plus puissants moyens d'affecter les émotions, voire de créer des épidémies. Si l'on pense aux réseaux sociaux et aux lynchages publics permanents qui s'y déroulent avec force de photos, de vidéos chocs et d'une masse stupéfiante de commentaires, l'internaute est stupéfait par la teneur affective qui se dégage et se trouve pris entre plusieurs réactions de nausée, de fuite ou bien de hurlements avec les loups.Le climat d'hystérie et de surenchère qui règne augmente nos réactions émotives et nous met à rude épreuve de débats peu apaisés produisant des tensions, dilemmes et agitations permanentes.
- Les intelligences artificiellesCes réseaux sociaux se combinent avec des programmes adjuvants, parfois qualifiés d'intelligence artificielle. Ces programmes prennent la forme d'agents conversationnels, d'algorithmes de connexion, d'accès ou d'exposition à des données et aux membres de communautés qui nous échappent. Des fenêtres surgissent avec leur lot de drames en vidéos ou bien ciblent nos sujets de prédilection.Nos émotions sont cernées interprétées utilisées dans un climat qui finit par devenir anxiogène. Et cela tombe bien car quoi de mieux pour lutter contre l'anxiété que d'acheter ou de râler en ligne ? Le processus pourrait encore s'amplifier avec les metavers qui nous déprivent de notre image corporelle en nous suggérant la fausse liberté de l'anonymat d'un avatar. Nous voilà un pas de côté plus loin de notre corps à côté de nous-même toujours plus sous l'emprise de nos désirs.
- Le casque d’empathieToujours plus loin. Le casque d'empathie serait une solution de développement de l’empathie par exemple de prévention contre les violences conjugales, il permettrait de se mettre à la place de l'autre. Mais, il serait aussi un moyen pour développer cette posture d'empathie auprès des collaborateurs d'entreprise pour mieux comprendre les états internes d'un client ou d'un collaborateur. La réalité virtuelle est en mesure de nous faire vivre plus d’intelligence émotionnelle et une perception cognitive des états psychiques d’autrui et, enfin, en temps réel , l’ajustement de son propre comportement en fonction de la situation simulée.
Atteindre son vrai soi
Avec la possibilité de se connecter les uns aux autres, c’est aussi l’opportunité de pénétrer les intimités, voire de partager comme jamais au plus grand nombre son jardin secret. D’aucuns profitent de cette propension à s’étaler pour capter à leur profit l’expression des désirs les plus secrets et nous manipuler.
D’autres proposent de prendre en compte les émotions dans une pédagogie intégrale qui touche tout l’être et pas uniquement les fonctions cognitives du cerveau. Dans les deux cas, comme nous le rappelle Jean Paul Sartre, l’émotion tient de la magie et de ses effets indéfinissables sur les conduites humaines.
Sources
Les managers de l'âme Valérie Brunel https://journals.openedition.org/lectures/794 https://www.decitre.fr/livres/les-managers-de-l-ame-9782707143860.html
Réalité virtuelle. Former les salariés à l'empathie grâce à la réalité virtuelle https://www.realite-virtuelle.com/former-des-salaries-a-lempathie-grace-a-la-realite-virtuelle/
Wikipédia - Cconditionnemt https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Conditionnement_(psychologie)
The conversation. L'intelligence émotionnelle est-elle prête à comprendre nos émotions ? https://theconversation.com/lintelligence-artificielle-est-elle-prete-a-comprendre-les-emotions-humaines-151409
Thot cursus - Mon compagnon d'apprentissage sera une IA oui mais laquelle ? https://fr.cursus.edu/13278/mon-compagnon-dapprentissage-sera-une-ia-oui-mais-laquelle
Jean Pierre Bouchez - Les nouveaux travailleurs du savoir https://jeanpierrebouchez.com/index.php/publications/ouvrages/118-le-travail-invisible-edition-vuibert-2008-.html Voir plus d'articles de cet auteur