Il y a eu Facebook, puis Twitter, puis Instagram, puis Snapchat, puis TikTok, et maintenant BeReal, la nouvelle étoile montante des médias sociaux. Et comme si ce n’était pas assez, on nous parle maintenant de la nécessité pour les marques de s’approprier d’urgence le métavers et la blockchain sous peine de… de quoi déjà ? Après 30 ans de croissance, les usages numériques sont aujourd’hui plus diversifiés que jamais, le tout dans des conditions de marché extrêmes (crise climatique, sanitaire, écologique, énergétique, sociale…). Autant le dire tout de suite : rajouter un support numérique à votre stratégie de marketing digital ne changera pas la donne. Plutôt que de vouloir exploiter toujours plus de canaux numériques, les marques et organisations devraient au contraire concentrer leurs efforts sur les supports les plus pertinents. La rationalisation de votre écosystème numérique est non seulement le meilleur moyen de lutter contre la dilution des ressources, donc d’améliorer les performances ; c’est également une façon de limiter les impacts environnementaux et sociaux. Un premier pas vers du e-marketing responsable ? Oui tout à fait, à condition de le faire avec l’art et la manière.
Je poursuis avec vous ma réflexion sur le développement numérique durable (Une transformation digitale vertueuse à travers la responsabilité numérique des entreprises), avec cette fois un focus sur le e-marketing. Pour rappel : la responsabilité numérique des entreprises ne concerne pas que les déchets numériques ou la consommation d’énergie (notion de sobriété numérique), elle vise principalement à trouver le bon équilibre entre la performance économique (rentabilité) et les préoccupations sociales et environnementales.
Commençons dans un premier temps par aborder ces préoccupations.
Dans un marché à croissance nulle, la qualité prime sur la quantité
En France (et plus généralement dans les pays de l’hémisphère nord), il y a un nombre fini d’internautes et d’heures dans une journée. En conséquence de quoi, nous pouvons considérer que la population numérique est arrivée à son apogée, car il n’y aura plus de croissance significative de l’audience globale. Pour faire simple : le marché adressable a atteint sa taille maximale. À savoir : 54,3 M d’individus en France d’après Médiamétrie, soit 86% de la population.
Avant, nous pouvions parier sur une croissance naturelle de l’audience avec l’adoption progressive des usages numériques par le grand public. Aujourd’hui, l’objectif n’est plus de trouver de nouveaux internautes, mais d’inciter les utilisateurs actuels à intensifier leurs usages numériques.
Du point de vue des marques et organisations, « Intensifier leurs usages numériques » veut dire passer plus de temps et/ou dépenser plus d’argent sur leurs supports numériques. La grande difficulté est que pour gagner 1 point d’audience ou 1 € de CA supplémentaire, il faut le prendre à quelqu’un. Précision importante : cette recherche d’optimisation de la conversion s’applique à toutes les entreprises et organisations, pas que aux e-commerçants, car problématique et finalité sont les mêmes (nous sommes dans un marché à somme nulle).
Cette précision est importante, car il peut y avoir méprise. En effet, j’accompagne en ce moment deux organisations à but non lucratif dans leur transformation digitale, et le son de cloche en interne est le même : « Nous n’avons rien à vendre ». Certes, mais ces deux organisations ont des subventions à sécuriser, des donateurs à convaincre et des bénévoles à recruter / fidéliser. L’amélioration de la conversion est une constante auprès de n’importe quelle marque ou organisation qui interagit nécessairement avec des humains.
Il y a donc une nécessité d’avoir des supports numériques plus attractifs, plus pertinents, plus compétitifs, le tout sous contraintes (nouvelles lois sur la protection des données, blocage des identifiants publicitaires, stagnation des budgets…). Je ne vais pas en remettre une couche sur la permacrise, mais j’espère ne rien vous apprendre en écrivant qu’il est impossible de continuer à faire comme avant, c’est-à-dire d’investir toujours plus en acquisition de trafic non qualifié, ce qui revient à chercher à séduire tout le monde avec un discours et une offre indifférenciée, une tactique qui ne fonctionne plus dans un quotidien sous tension (manque de temps, d’argent, de motivation…).
D’un point de vue marketing, ce à quoi vous devez faire face est une fragilisation physique et psychologique des individus : Grosse fatigue et épidémie de flemme, quand une partie des Français a mis les pouces. Encore pire, cette flemme généralisée touche aussi les jeunes : Les nostalgiques ont (déjà) développé une fascination pour l’année des confinements.
En théorie : moins de temps dehors = plus de temps passé devant les écrans, mais comme changer ses habitudes demande des efforts, ce phénomène de fatigue s’applique aussi aux internautes qui sont au fil du temps devenus de plus en plus passifs, notamment sur les médias sociaux où ils se contentent de consommer des contenus visuels, comme à la TV (Social Media Is Dead).
Voilà pourquoi il faut (ré)agir et les motiver à changer leurs habitudes, modifier leur comportement. La priorité est maintenant de travailler la qualité de l’audience et non la quantité de trafic entrant. Ceci passe par une rationalisation de votre écosystème numérique. Ça tombe bien, car il y a généralement beaucoup de gâchis.
Rationalisation = Sobriété = 👍🏻
C’est un thème que j’aborde régulièrement depuis plusieurs années sur ce blog (cf. Rationalisez votre écosystème numérique avant de vous lancer dans le métavers et Des applications mobiles aux écosystèmes mobiles), mais sous l’angle du gain de performances. En cette période où le prix de l’énergie atteint des sommets et où il y a pénurie de compétences, il est urgent de revoir votre stratégie digitale sous l’angle du développement numérique durable : faire mieux avec moins pour pérenniser les activités en ligne.
Nous sommes au XXIe siècle et il est effectivement grand temps d’abandonner les pratiques marketing du siècle dernier : Non aux étiquettes générationnelles, pourquoi les consommateurs refusent d’être catégorisés. Non seulement le ciblage à l’ancienne est contre-productif, mais en plus, il gaspille des ressources. La bonne nouvelle est que les supports numériques offrent des outils très puissants pour profiler, cibler et personnaliser les messages et offres. Mais tout ceci a un coût.
Le mot d’ordre pour les prochaines années va logiquement être d’adapter votre stratégie digitale pour mieux correspondre aux conditions de marché :
- rationaliser les actifs numériques (limiter l’impact pour la planète) ;
- réorchestrer les contenus et services autour de scénarios de conversion personnalisés selon vos cibles et leur besoins (placer l’humain au centre) ;
- repenser les campagnes d’acquisition de trafic pour privilégier la création d’audiences durables (se soucier de la rentabilité sur le moyen terme).
Oui, je vous confirme que les temps sont durs (Marketing Is Getting More Difficult, Here’s Why), voilà pourquoi il faut reprendre l’initiative et non espérer de meilleurs résultats avec les mêmes tactiques.
La dure réalité est qu’après 30 ans de croissance du web et d’évolution des usages numériques, nous constatons un terrible éparpillement des ressources à mesure que les marques et organisations essayent de couvrir tous les supports numériques. Une stratégie qui revient à ouvrir un point de vente dans toutes les villes de France. Ainsi, il est plus que temps d’arrêter cette fuite en avant et de se soucier d’une meilleure utilisation des ressources.
Non seulement cette rationalisation permettrait d’améliorer les performances (nous en parlons dans le prochain paragraphe), mais cela permettrait également de limiter l’empreinte environnementale (réduction de la consommation d’énergie) et sociétale (réduction du bruit, notamment les emails, publicités, notifications…). Une tendance qui s’inscrit tout à fait dans l’air du temps et dans cette démarche qui consiste à adopter des pratiques plus responsables, moins insouciantes (Marketing responsable : définition, exemples et conseils pour les marques).
Tout l’intérêt de la rationalisation de votre écosystème numérique est de concentrer les efforts sur les actifs numériques avec le plus fort potentiel, notamment en exploitant des scénarios de conversion.
Un seul et unique objectif : la conversion
À une époque pas si lointaine, nous pensions que l’internet était un média virtuellement infini où il n’y avait aucune contrainte. Nous bénéficions maintenant du recul pour comprendre qu’il y a bien des limites, notamment l’attention des internautes (seule une minorité des sites web sont réellement actifs et visités : 200 M, soit moins de 17% – How Many Websites Are There in the World?) ainsi que la consommation d’énergie (Pollution numérique : quel est l’impact d’un site web ?).
Ceci explique pourquoi à une certaine époque, les écosystèmes numériques étaient représentés sous forme de galaxie, car ça partait dans tous les sens.
Plutôt que de chercher à toucher tous les utilisateurs sans distinction, la rationalisation de votre écosystème numérique consiste avant tout à ré-orchestrer les différents actifs numériques selon une logique de parcours de conversion intégrés reposant sur des contenus et services à valeur ajoutée, avec d’un côté des sources d’acquisition de trafic, et de l’autre, des supports transactionnels.
Les observateurs avertis pourraient me dire que ce que je suis en train de décrire est le principe d’inbound marketing, voir de marketing automation. Oui certainement, je ne m’attache pas aux termes, mais plutôt aux pratiques, ou du moins au résultat : l’important est de lutter contre le cloisonnement des pratiques et favoriser l’intégration des différents actifs numériques dans des parcours de transformation (cf. 5 scénarios incontournables en marketing automation et Marketing automation : 13 scénarios et exemples à utiliser pour votre lead nurturing).
Dans cette logique, appelez-là comme vous le souhaitez, il y a une utilisation beaucoup plus intensive des contenus et services pour qualifier le trafic entrant et orienter les visiteurs dans des circuits de conversion personnalisés selon leurs problématiques ou contraintes. Cette approche se situe à l’opposé des pratiques d’acquisition de trafic du début de siècle où les annonceurs balançaient littéralement des millions de bannières et d’emails en espérant harponner de nouveaux clients.
Avec la pénurie d’attention des internautes et la baisse du pouvoir d’achat, les parcours publicitaires du début de siècle sont inopérants : plus personne ne passe des bannières au panier, car c’est la fin de l’insouciance, les achats sont maintenant mûrement réfléchis (Combien de ménages européens sont exposés aux difficultés financières ?).
Il y a non seulement les tensions du quotidien qui pèsent sur le moral des consommateurs, mais également une forme de lassitude vis-à-vis de pratiques publicitaires qui polluent les supports numériques. Le cerveau gauche des internautes (dicté par la logique) l’emporte sur le cerveau droit (dicté par les émotions). Rajouter plus de bannières ou de messages sponsorisés n’y changera rien. L’important est de définir des scénarios de conversion pertinents qui reposent sur des contenus et services à valeur ajoutée pour pouvoir attirer l’attention, convaincre, transformer et fidéliser.
Comme le dit le proverbe : « Choisir, c’est renoncer« . La rationalisation de votre écosystème numérique va imposer de faire des choix pour limiter la dispersion des ressources. Et comme le dit l’autre proverbe : « Less is more« , car moins de supports à alimenter implique de meilleures chances de convertir sur ceux qui restent.
Pour illustrer mon propos, je vais m’appuyer sur le schéma suivant qui décrit une stratégie « classique » d’acquisition de trafic : une boutique en ligne que l’on va alimenter avec différentes sources grâce à des campagnes publicitaires payantes (emails, publicités natives, bannières…). Selon cette approche, le site web est considéré comme un monolithe auquel on ne peut pas toucher, l’essentiel du budget d’acquisition de trafic est donc dépensé sur des supports tiers (portails, médias sociaux, moteurs de recherche…) avec un recours à des actifs en périphérie du site (généralement des landing pages, « pages d’entrée » en français).
Pour augmenter le CA, il faut soit augmenter la visibilité sur les supports tiers (= augmenter la pression publicitaire), soit exploiter de nouveaux supports tiers (= augmenter la surface d’exposition). C’est cette logique qui pousse les marques à exploiter toujours plus de supports (ex : TikTok, BeReal, métavers…), donc à disperser leur budget et diluer les efforts.
La démarche de rationalisation d’un écosystème numérique démarre avec l’identification et la hiérarchisation de cibles (de préférence, celles qui présentent le plus fort potentiel : les cibles dont les besoins, contraintes ou attentes correspondent le mieux à l’offre). Une fois les cibles identifiées et hiérarchisées, il y a un second travail de personnalisation des contenus et services à l’aide d’actifs numériques dédiés (sites thématiques, mini-sites, variantes de pages produits…). Et enfin, il y a un travail de définition de campagnes publicitaires ciblées et personnalisées en fonction de la maturation de l’achat (de la proximité avec le passage à l’acte).
Cette approche prône donc une ré-allocation des ressources sur les contenus et services (investissement) plutôt que sur de la publicité (dépenses). Ces scénarios de conversion s’appuient sur des actifs numériques spécifiques aux cibles, alimentés par des supports externes, le tout dans une démarche de marketing et communication responsable.
Tout ceci fonctionne très bien sur le papier, mais nécessite d’internaliser la production de contenus et services pour minimiser les coûts, et surtout pour une meilleure maitrise, car ces supports ont un impact direct sur la perception la marque et la valeur perçue de l’offre (cf. ‘Nobody knows your brand like you do’: Why Skullcandy has built an in-house creative team).
Formulé autrement : la réinternalisation implique nécessairement la reprise en main des supports par les équipes internes.
La fin de la logique de délégation à outrance
Comme le dit le proverbe (et de trois !) : « On n’est jamais mieux servi que par soi-même« . Est-ce applicable au e-marketing ? Malheureusement pas réellement dans la mesure où les prestataires externes apportent un réel savoir-faire. Ceci étant dit, force est de constater que dans un marché en tension, la délégation systématique des opérations e-marketing n’est économiquement pas tenable. L’internalisation des opérations n’est pas un choix logique, car elle présente un risque, mais c’est la meilleure solution compte tenu des conditions de marché.
Rassurez-vous, nous ne parlons pas ici d’embaucher à tour de bras des experts pour constituer d’énormes équipes digitales en interne, mais plutôt de s’appuyer sur la nouvelle génération d’outils no-code pour réduire le recours aux prestataires et pouvoir ré-internaliser une partie des opérations, ce qui serait déjà un énorme chantier. En ce sens, le contexte économique force les marques et organisations à adopter des mesures extrêmes, qu’elles n’auraient jamais envisagées dans des conditions normales (lire à ce sujet cet article publié il y a deux ans : Le no-code pour s’adapter plus vite dans un environnement post-COVID).
Je ne rentrerai pas dans le débat de savoir si le no-code est mieux que le développement spécifique, je rappellerai simplement l’argument que j’avais utilisé à l’époque de la COVID : dans l’informatique traditionnelle, la réussite d’un projet réside dans le bon équilibre entre les trois principales contraintes (coûts, délais et qualité). Le no-code est jusqu’à preuve du contraire le meilleur moyen d’aboutir à cet équilibre en faisant un léger compromis sur la qualité, mais en réalisant d’énormes gains de temps et de budget.
Il est ainsi tout à fait possible de rationaliser votre écosystème numérique en vous appuyant sur ce type d’outils pour pouvoir produire rapidement et à faible budget les actifs numériques spécifiques dont vous aurez besoin pour personnaliser les parcours de transformation. Tout ce dont vous avez besoin, c’est de volonté.
Bon OK, j’avoue que c’est plus facile à dire qu’à faire, et je reconnais volontiers qu’internaliser les opérations e-marketing nécessite une montée en compétences et un alignement de la culture interne (revoir les objectifs, les priorités et les canaux de communication / distribution). Est-ce bien le moment de se lancer dans un tel chantier (après tout la période est compliquée) ? Oui, car les enjeux n’ont jamais été aussi élevés : nous parlons ici au mieux d’un retour à la croissance, au pire de la survie de votre marque. Comme le dit fort justement Andy Grove dans son ouvrage sur le management publié en 1995 : « There are two options: adapt or die« .
Les équipes en interne vont-elles avoir la motivation et la discipline nécessaire pour accomplir cette rationalisation ? Oui j’en suis persuadé, car l’objectif est légitime : il ne s’agit pas d’améliorer les marges, mais plutôt de renouer avec la croissance sur le long terme tout en se préoccupant des aspects environnementaux et sociaux. En ce sens, la transformation digitale responsable est la dynamique vertueuse dont les marques et organisations ont besoin pour sortir de l’état de stupeur dans lequel elles se retrouvent avec ces crises qui se succèdent.
Non, la permacrise n’est pas une fatalité, c’est simplement une réalité à laquelle nous devons nous adapter. Des décisions doivent être prises, des actions doivent être menées. Sans cela, votre marge de manoeuvre se rétrécit tous les jours…