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Repas incontournable de la journée, le petit-déjeuner occupe une place importante dans l’économie de l’industrie alimentaire. Plus particulièrement, ce sont les céréales, prêtes à consommer ou à préparer, qui composent en grande majorité les tablées françaises puisque 67,4% des ménages français en consommait en 2001. Cette habitude de consommation a contribué à un chiffre d’affaires mondial de 29,9 Milliards d’euros en 2016 pour le marché des céréales de petits-déjeuners. De manière intéressante, on comptait 25 variétés de céréales pour petit-déjeuner en 1950. Aujourd’hui la gamme de céréales est telle qu’il est impossible d’en approximer une valeur parmi les 218 marques de céréales recensées. Il est cependant possible d’estimer le fait que goûter une nouvelle variété de céréales par jour nécessiterait à minima dix années. Dans ce contexte, il convient de s’interroger sur les stratégies qui permettent aux industriels du secteur de se démarquer sur le marché dans la perspective d’acquérir un monopole. Nous verrons que la publicité est un instrument au service du monopole (I), mais qu’il s’agit là davantage d’une étude empirique biaisée par les statistiques, révélant un débat sous-jacent autour de l’omniprésence de la publicité dans notre société (II).
I –La publicité, un instrument de concurrence
Définie comme « le fait d'exercer une action psychologique sur le public à des fins commerciales », la publicité sert à créer une image de qualité à un produit commercialisé, ou à associer un prestige à la consommation d’un bien. Son usage est dès lors fondamentalement intégré aux stratégies de vente des entreprises. Notamment, l’exemple du Yoplait 150 aux États-Unis (1987) a montré que la probabilité d’acheter du Yoplait 150 augmentait en relation avec la fréquence d’exposition à une publicité de 30 secondes dans la semaine, selon la formule « Probabilité d’acheter du Yoplait 150=1,85*Exposition Pub-0,24*Exposition Pub*Nombre d’Achats Précédents+(autres variables) ». Nous verrons donc qu’il existe différentes formes de publicité adaptées au comportement des consommateurs (1) dont l’efficacité peut être mesurée en amont du lancement publicitaire (2) et qui sont mises en œuvre dans les stratégies de vente de céréales pour le petit-déjeuner(3).
1.Les stratégies publicitaires
Selon l’économiste Nelson, le publicitaire doit prendre en compte deux types de comportements du consommateur s’il souhaite orienter ce dernier vers son bien commercialisé. Si le consommateur cherche à acheter un bien dont la qualité peut être certifiée avant l’achat (on parle de bien de recherche), alors le publicitaire devra générer une publicité informative sur les caractéristiques des produits pour révéler une différenciation objective. Au contraire, si le consommateur désire acheter un bien dont les caractéristiques de qualité ne peuvent pas être observées avant l’achat (bien d’expérience), alors le publicitaire devra mettre en œuvre une publicité persuasive qui cherche à modifier les préférences des consommateurs afin de créer une différenciation subjective.
De manière intéressante, la forme de publicité la plus courante est la publicité persuasive car le ratio (𝑃𝑢𝑏𝑙𝑖𝑐𝑖𝑡é/𝑉𝑒𝑛𝑡𝑒𝑠) est trois fois supérieur chez les biens d’expérience par comparaison à celui des biens de recherche. Cela contraste avec l’idée intuitive et rationnelle selon laquelle les firmes produisant des biens de haute qualité sont davantage incitées à dépenser d’importantes sommes en publicité informative afin d’informer sur la qualité de son bien à consommer. Sachant qu’il est nettement plus complexe de construire une publicité pour les biens d’expérience, ce constat souligne ainsi que l’information, qu’elle soit directe (existence du produit, prix, composition, etc.) ou indirecte (associée à un événement sportif, produit par une firme œuvrant sur le plan caritatif, etc.), n’est pas le moteur principal d’un acte d’achat. Aussi, la publicité persuasive doit intégrer des notions irrationnelles. Le psychologue Georges Windholz a notamment transposé les observations d’Ivan Pavlov (1800)4et B. F. Skinner (1948) à un concept plus large selon lequel « des réactions physiologiques [pouvaient] être apprises et influencées par des éléments externes». En termes économiques, cela démontre que l’exposition répétée à un stimulus (publicité de céréales petit-déjeuner), couplée à une certaine idée (« un petit déjeuner qui réveille », « un concentré de chocolat », etc.), peut avoir un impact direct sur les réactions physiologiques des individus (l’achat d’une marque de céréales particulière). Par sa construction psycho-économique, la publicité apparait donc efficace pour créer l’influence d’un bien et donc favoriser l’acte d’achat.Cependant, les économistes Comanor et Wilson (1974) ont montré que dans la majeure partie des cas (37 des 39 industries étudiées), la publicité n’a qu’un effet passager et qui est inférieur à un an. Cela peut s’expliquer par l’exposition répétée à une grande variétés de publicités pour un produit qui pollue et biaise l’efficacité de l’expérience publicitaire pour une marque particulière. Également, à cette étude, Ayanian (1983) oppose l’argument d’une absence de considération de l’effet de la publicité sur les consommateurs qu’elle aurait convaincue.Il convient alors de s’intéresser à des indicateurs capables d’évaluer objectivement l’effet dans le temps de la publicité sur la consommation.
2. Élasticité-prix de la demande et élasticité publicitaire: les outils stratégiques du publicitaire
D’un point de vue économiste, la sensibilité de la demande, à savoir la consommation d’un bien par rapport à son prix, se mesure grâce à l’indicateur d’élasticité-prix de la demande.Ce dernier est défini par la formule (𝑉𝑎𝑟𝑖𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑞𝑢𝑎𝑛𝑡𝑖𝑡é 𝑑𝑒𝑚𝑎𝑛𝑑é𝑒 (%))/(𝑉𝑎𝑟𝑖𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑑𝑢 𝑝𝑟𝑖𝑥(%)) et permet aux entreprises d’anticiper la réaction des clients à leur stratégie de prix. Dans un cas classique, une augmentation ou diminution du prix d’un bien provoque en conséquence une diminution ou augmentation réciproque de la demande. Cela concerne les biens ayant une élasticité négative (biens de Giffen), tels que les biens de première nécessité dont la variation du prix influence peu sur leur consommation. Par opposition aux biens de Giffen, on trouve les biens de Veblen qui ont une élasticité-prix positive car leur demande augmente avec leur prix (les biens de luxe notamment). Les firmes de céréales petit-déjeuner appartiennent alors aux biens de Giffen car ils composent un repas incontournable de la journée et une publicité par les prix peut influencer la demande du bien par les consommateurs. De manière complémentaire, l’indicateur élasticité publicitaire exprime le pourcentage de variation de la demande dans un marché pour 1 % de variation des dépenses publicitaires dans ce marché selon la formule (𝑉𝑎𝑟𝑖𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑑𝑒𝑚𝑎𝑛𝑑𝑒 (%))/(𝑉𝑎𝑟𝑖𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑑𝑒𝑠 𝑑é𝑝𝑒𝑛𝑠𝑒𝑠 𝑝𝑢𝑏𝑙𝑖𝑐𝑖𝑡𝑎𝑖𝑟𝑒𝑠(%)). Cette dernière suppose que tous les autres facteurs restent inchangés. D’un point de vue fondamental le calcul de l’élasticité publicitaire permet donc d’anticiper la réponse potentielle d’un marché à une action publicitaire informative ou persuasive.
Cependant, dans une structure de marché il convient de prendre en compte une variété de facteurs, tel que la concurrence pour un bien similaire à celui considéré. On parle alors d’élasticité croisée pour construire le monopole. La relation (𝐷é𝑝𝑒𝑛𝑠𝑒𝑠 𝑝𝑢𝑏𝑙𝑖𝑐𝑖𝑡𝑎𝑖𝑟𝑒𝑠) / (𝑅𝑒𝑣𝑒𝑛𝑢𝑠 𝑑𝑒𝑠 𝑣𝑒𝑛𝑡𝑒𝑠) = (𝐸𝑙𝑎𝑠𝑡𝑖𝑐𝑖𝑡é 𝑝𝑢𝑏𝑙𝑖𝑐𝑖𝑡é 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑑𝑒𝑚𝑎𝑛𝑑𝑒) / (𝐸𝑙𝑎𝑠𝑡𝑖𝑐𝑖𝑡é 𝑝𝑟𝑖𝑥 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑑𝑒𝑚𝑎𝑛𝑑𝑒) permet notamment d’évaluer la pertinence (via l’efficacité) des dépenses publicitaires ou des changements de prix en considérant aussi bien l’élasticité-prix de la demande que l’élasticité publicitaire.Aussi, selon R. Pindyck, D. L. Rubinfeld et M. Sollogoub, des dépenses publicitaires fortes seront à considérer dans le cas où l’élasticité-prix de la demande du produit est faible (toute vente supplémentaire maximisant le profit), ou dans le cas où l’élasticité-publicité de la demande est grande (toute publicité accroissant la demande). Finalement, si l’on considère la formule de Dorfman-Steiner (𝑀𝑜𝑛𝑡𝑎𝑛𝑡 𝑑𝑒𝑠 𝑖𝑛𝑣𝑒𝑠𝑡𝑖𝑠𝑠𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑒𝑛 𝑝𝑢𝑏𝑙𝑖𝑐𝑖𝑡é) / (𝐶ℎ𝑖𝑓f𝑟𝑒 𝑑′a𝑓𝑓𝑎𝑖𝑟𝑒𝑠) = (𝑝𝑟𝑖𝑥−𝑐𝑜û𝑡 𝑚𝑎𝑟𝑔𝑖𝑛𝑎𝑙 / 𝑝𝑟𝑖𝑥) X é𝑙𝑎𝑠𝑡𝑖𝑐𝑖𝑡é 𝑝𝑢𝑏𝑙𝑖𝑐𝑖𝑡𝑎𝑖𝑟𝑒 = (𝐸𝑙𝑎𝑠𝑡𝑖𝑐𝑖𝑡é 𝑝𝑢𝑏𝑙𝑖𝑐𝑖𝑡𝑎𝑖𝑟𝑒) / (𝐸𝑙𝑎𝑠𝑡𝑖𝑐𝑖𝑡é 𝑝𝑟𝑖𝑥 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑑𝑒𝑚𝑎𝑛𝑑𝑒), on observe que le monopole de distribution d’un bien est optimal lorsque le rapport optimal des dépenses de publicité et le chiffre d’affaires est égal au rapport des élasticités de la demande par rapport à la publicité et au prix. Cette observation théorique peut notamment être vérifiée empiriquement en considérant la probabilité qu’un ménage change de marque de céréales pour petit déjeuner augmente avec l’intensité de la publicité pour cette marque.
3. L’effet de la publicité dans l’adoption d’une nouvelle marque
Quand vient à étudier l’impact des publicités sur les comportements d’achat et notamment d’adoption d’un nouveau bien, il est intéressant de considérer l’industrie céréalière, cette dernière étant relativement stable et très compétitive. Également, il est intéressant de noter que jusqu’aux années 1990,il était initialement interdit pour les producteurs de céréales de faire de la publicité autour des avantages pour la santé de leur produit. Aussi, la comparaison pré-et post-autorisation réglementaire de la publicité est particulièrement informative pour comprendre l’influence de la publicité sur l’essai puis l’adoption d’une nouvelle marque de céréales par le consommateur. L’article de P.M. Ippolito et A. D. Mathios (1990) a notamment montré que les sources d'information gouvernementales et générales ont eu un impact limité sur les choix de céréales à base de fibres dans les années précédant la publicité ; et qu’à partir de cette dernière, les consommateurs ont modifié leur comportement une fois informés des avantages des céréales pour leur santé. Cette observation témoigne bien de l’efficacité de la publicité informative par les producteurs pour influencer les comportements d’achat. Néanmoins, au niveau du marché, les allégations de santé des producteurs concernant les fibres ont également conduit à une innovation significative des produits et engendré l’apparition de nouveaux produits sur les étals. Aussi,l’augmentation du choix de biens possédant les mêmes propriétés est venu altérer la portée de l’information informative. Dans ce contexte, il est apparu que l’analyse des données individuelles sur la consommation alimentaire est importante pour expliquer qui réagit le plus rapidement aux nouvelles informations, ou encore quel type de ménage modifie son comportement d’achat en réponse à une publicité donnée. La publicité persuasive est alors née et prédomine depuis comme stratégie publicitaire. Elle s’intéresse directement à l’individu ciblé qui reflète alors les coûts d'acquisition de l'information et la capacité du public à traiter l'information pour l’évolution des préférences d’une marque de céréales. De plus, les données suggèrent que la publicité a réduit les différences entre les consommateurs en diminuant les coûts d'acquisition de l'information pour de larges segments de la population. En revanche, les avantages du traitement de l'information d'information dus à l'éducation n'ont pas été réduits par la publicité.
II –Empirisme versus statistiques, ou la complexité d’évaluation des stratégies publicitaires
La multiplication des marques de céréales en l’espace de 60 ans laisse à penser que le marché des céréales de petit-déjeuner est insaturable : un nouveau produit de céréale trouvera et conservera un marché grâce à des actions publicitaires. Pourtant, en s’y intéressant de plus près, on remarque que seuls certains canaux se prêtent réellement à l’action publicitaire pour influencer un changement de marque (1). Par ailleurs, il est intéressant de mettre en perspective les études menées à ce sujet qui intègrent des biais statistiques importants (2) et n’intègrent pas la dimension psychologique intrinsèque au consommateur (3).
- Support de vente, information et pré-disposition au changement de marque
Au-delà de la portée de la publicité ou de son efficacité, l’économiste Andrea Pozzia cherché à mesurer la force des moyens publicitaires mis en œuvre pour influencer un changement de marques de céréales. Pour cela, il s’est concentré sur la façon dont le choix du canal d'achat affecte la propension des ménages à essayer des marques qu'ils n'ont pas achetées dans le passé. Dans son article Andrea Pozzia d’abord démontré que le coût de la navigation (aux environs de 4$) est corrélé à une réticence à l'exploration de la marque en ligne. En revanche, dès lors que ce coût est éliminé, le niveau d’exploration des marques en ligne augmente de 23%. Cela met en lumière les considérations économiques du consommateur, liées au comportement d’achat. Notamment, il a été observé que les consommateurs en ligne étaient plus enclins à économiser sur le temps de navigation en choisissant d'acheter à partir d'une liste "en un clic" d'articles déjà pré-sélectionnés à la suite de leurs précédents achats, plutôt qu’à rechercher manuellement les produits. Ainsi, exploiter ce constat permettrait au publicitaire «d’acheter» un emplacement dans des pré-paniers en ligne afin d’éviter au consommateur le temps d’exploration, tout en l’influençant pour acheter sa marque. Dans le cas d'une activité répétée impliquant des articles relativement bon marché, comme les céréales petit-déjeuner, l'attrait d'une réduction du coût des achats pourrait alors être beaucoup plus grand. D’autre part, il faut souligner que le contenu informatif de la recherche en ligne est plus pauvre que celui de la recherche en magasin. En effet, l'exploration de nouvelles marques consiste dans ce cas à rechercher des articles présentant des caractéristiques plus encore désirables que celles qui se trouvent actuellement dans le panier du consommateur. Ainsi, dans la mesure où l'évaluation des caractéristiques des produits potentiels est difficile, la probabilité de réussite de l'exploration est plus faible pour les achats en ligne. Par conséquent, l’influence d’achat pour une nouvelle marque sera plus faible pour un même consommateur faisant ses achats sur Internet plutôt qu’en magasin. Comparativement, Andrea Pozzi constate que l’introduction d’une nouvelle marque de céréales en ligne (verrouillage publicitaire persuasif et implicite) facilite une convergence vers l’achat de cette nouvelle marque, mais que celle-ci est inférieure de 20% par rapport à la même introduction de la marque en magasin. Cela suggère qu’en théorie les marques qui sont impopulaires en magasin peuvent avoir encore plus de mal à gagner du terrain en ligne ; bien qu’en réalité, les clients en ligne semblent prêts à renoncer à la consommation de marques très appréciées si celles-ci venaient à disparaître de leur liste d'achats. En ce sens, la publicité persuasive semble prédominer sur la publicité informative puisque le consommateur en ligne ne prend le temps de comparer les informations de deux marques que s’il a été influencé par l’image de marque via un autre canal de communication (flyers, télévision, panneaux publicitaires, etc.). En revanche, cette conclusion est à nuancer car l’achat de produits alimentaires en ligne est un moyen efficace de faire ses courses qui est souvent choisi par manque de temps et n’est donc intrinsèquement pas favorable à l’exploration de nouvelles marques. En définitive, le canal internet n’élimine pas les sources traditionnelles de coûts de transfert et de pouvoir de monopole (c'est-à-dire l'avantage de l'emplacement), mais crée de nouvelles barrières à l’entrée pour les marques. Dans ce contexte, l'adoption de fonctionnalités telles que des annonces contextuelles ou des recommandations sur le site en ligne après une navigation internet (publicité persuasive suggestive), apparaitraient pouvoir inverser cet effet, en permettant aux marques impopulaires et/ou non établies de devenir plus facilement populaires en ligne. Le consommateur serait alors davantage incité à s’intéresser aux caractéristiques informatives des deux marques.
2. La fidélité à la marque, lacune publicitaire
Bien souvent, les préférences des consommateurs sont caractérisées par la fidélité à la marque. Les économistes Bain (1956), Comanor (1974) et Wilson (1974) soutenaient notamment que la publicité est un outil permettant de favoriser la différenciation perçue des produits parmi des marques similaires. Dès lors, la différenciation des produits est propagée par la publicité et les efforts de promotion des ventes sont destinés à gagner l'allégeance et la coutume de l'acheteur potentiel. Selon cette théorie, la publicité est donc un avantage majeur pour le distributeur de la marque sur le marché car la fidélité augmente les coûts de changement, ce qui rend les consommateurs réticents à essayer de nouvelles marques. L’économiste Shapiro (1982) a lui défendu une autre définition de la publicité. Selon lui la fidélité de la marque est une question critique ; et un des rôles de la publicité (informative ou persuasive) serait de surmonter la fidélité à la marque afin d’encourager les consommateurs à se tourner de manière pérenne vers des marques moins connues. La question est donc de savoir si la publicité réduit ou augmente la fidélité à la marque sur le marché des céréales petit-déjeuner. Les travaux de l’économiste Mattew Schum (2004) ont notamment porté sur la mesure des effets différentiels de la publicité sur les ménages fidèles et non fidèles, en regardant si les importantes dépenses publicitaires observées sont justifiées par rapport à d'autres moyens (comme les réductions de prix) pour stimuler la demande des consommateurs fidèles aux marques concurrentes. L’étude a montré que la publicité joue systématiquement un rôle dans la réduction des coûts de passage à des marques qu'un ménage n'a pas achetées récemment car il est plus efficace de stimuler la demande par la publicité que par des réductions de prix (pour 48 marques de céréales étudiées, la réduction de prix « coûterait »environ 3,77 millions de dollars de plus que la réduction des dépenses publicitaires). Ainsi, le fait que les profits auxquels on renonce en raison d'une diminution de la publicité soient positifs pour toutes les marques suggère que l'effet net de la publicité sur la demande est positif. Finalement, dans un contexte de marché dynamique, la fidélité à la marque peut conduire à un avantage substantiel pour le distributeur titulaire. Dès lors, la publicité peut être une option attrayante et efficace pour les marques entrantes dans leur tentative de surmonter l'avantage du titulaire dû à la fidélité à la marque. Par ailleurs, le fait que la publicité réduise les coûts de changement de fournisseur pourrait signifier que la publicité facilite l'entrée d'une nouvelle marque sur un marché de consommateurs fidèles à la marque en place, suggérant en conséquence qu'il pourrait y avoir moins de marques sur le marché des céréales en l'absence de publicité.
3. Publicité et préférences : vers une modulation des choix de consommation?
Force est de constater que la publicité impacte de plus en plus les préférences des consommateurs, questionnant leur autonomie et leur souveraineté lors de l’acte d’achat. Le défi est alors de comprendre dans quelle mesure la publicité impacte le bien-être lorsqu’elle est plus ou moins persuasive, tout en étant informative. L’économiste Sacriste (2002) s’est intéressé à cette question et considère que la publicité ne peut pas être coercitive étant donné le fait qu’elle ne constitue qu’une simple invitation à acheter le produit mis en avant. De ce fait, ladite invitation peut se refuser. Cependant,bien que cette approche soit facilement applicable à une publicité informative, elle ne peut pas être défendue dans le cadre d’une publicité persuasive. L’exemple peut être fait de la naissance de réglementations récentes sur les publicités autour des produits addictifs dont la consommation peut présenter des risques sanitaires, psychologiques, voire sociaux (cigarette, alcool, etc.)et sur les publicités à destination de segments de consommateurs jugés fragiles (enfants,etc.). Notamment, la promotion publicitaire de tels biens a contribué à la modification de la demande globale de produits nicotinés dans l’après-guerre, en dépit des études épidémiologiques menées sur les questions sanitaires. Finalement, l’opposition qui est faite sur les notions de publicité informative versus de publicité persuasive sous-tend en réalité un débat économique autour de la régulation de la publicité. En particulier, les anti-régulationnistes défendent l’image d’une publicité contributrice du bien-être général car elle contribue (par sa nature informative et pro-concurrentielle) à une souveraineté et liberté de choix de consommation face à « l’expression de l’opinion du vendeur ou du fabriquant de la marchandise concernée» (Saurman,1988). Néanmoins, à cette définition anti-régulationniste de la publicité peut être opposée la question du défaut d’information de la Partie faible (le consommateur) qui n’a d’autre choix que de faire confiance à la bonne foi du publicitaire qui n’est pas toujours en mesure de vérifier l’information soutenue par le publicitaire. Dès lors, la thèse défendue par les régulationnistes semblent aujourd’hui dominer l’opinion publique. En effet, ces derniers soutiennent la caractérisation d’une publicité comme un instrument persuasif qui oriente le consommateur. Les économistes promeuvent alors la nécessité d’empêcher les producteurs d’adopter des pratiques publicitaires qui peuvent mener à des comportements anticoncurrentiels et de protéger les consommateurs (fragiles ou non) de représentations fallacieuses qui risquent de les induire en erreur ou les manipuler, ou de biens associés à un risque (social, psychologique ou sanitaire).
Conclusion
Les céréales pour petit-déjeuner constituent un exemple classique de stratégie de remplissage de niche (Scherer 1979, Schmalensee 1978) car l’on observe un très grand nombre de marques différenciées commercialisées par chaque industriel distributeur. Il existe ainsi une grande marge de manœuvre pour l’exploration des marques et l’élaboration de stratégies de commercialisation pour atteindre le monopole du marché. Classiquement, les distributeurs travaillent autour de l’élasticité-prix pour accroitre leurs recettes en anticipant la sensibilité du marché aux variations de prix. Puis, c’est à partir des années 1990 que les producteurs de céréales ont reçu l’autorisation de faire de la publicité autour des avantages pour la santé de leur produit. Cette période a alors vu monter en flèche la consommation de telles céréales pour petit-déjeuner. La publicité informative était née. Cette dernière se justifie en répondant à un besoin concret d’information sur le bien pour parfaire le choix du consommateur. Cependant, l’industrie des céréales petit-déjeuner a continué de grossir, la concurrence sur le marché s’étendant avec elle. Les distributeurs ont alors dû revoir leur stratégie commerciale et développer de nouveaux outils permettant d’influencer le consommateur à acheter son produit plutôt que celui similaire d’une autre marque. Une publicité dite persuasive a alors vu le jour. Elle présente un caractère plus insidieux que la publicité informative puisqu’elle correspond davantage à l’avis du distributeur sur son produit pour le vendre en toute subjectivité au consommateur. En ce sens, ce deuxième sous-type de publicité cible avant tout des marchés de niches en agissant aussi bien sur arguments irrationnels destinés à influencer l’acte d’achat.
D’autre part, des preuves empiriques suggèrent que la probabilité qu’un ménage change de marque de céréales pour petit-déjeuner augmente avec l’intensité de la publicité pour cette marque, montrant l’efficacité des stratégies publicitaires. Aussi, un effet important de la publicité sur le marché des céréales petit-déjeuner est d'encourager le comportement de changement au niveau des ménages, qui surmonte la fidélité à la marque en persuadant les ménages d'essayer des marques qu'ils n'ont pas achetées récemment. Pourtant, l’effet de la publicité est nettement plus faible pour les ménages qui ont déjà essayé cette marque. Cela s’explique tout d’abord par le type de bien ciblé. Dans l’exemple des céréales, qui sont un bien de Giffen, le consommateur passe naturellement peu de temps à explorer les marques similaires à ce bien qu’il consomme quotidiennement. Cela nécessiterait un temps supplémentaire de recherche en ligne ou en magasin qu’il n’a pas, pour un bien qu’il doit impérativement racheter pour son petit-déjeuner de demain. En ce sens le consommateur est intrinsèquement soumis au phénomène de « fidélité à la marque » : une fois qu’il a choisi le type de bien qu’il souhaite consommer sous couvert d’une marque donnée, il n’en change pas. Un nouveau distributeur de céréales pourra alors difficilement le convaincre d’acheter un bien similaire dans sa marque, à renfort de publicité informative. Le publicitaire investira alors davantage en publicité persuasive. Dans ce laps de temps, le consommateur de la marque sera faiblement influencé par les publicités. Par ailleurs, dans un contexte de marché dynamique la fidélité à la marque peut conduire à un avantage substantiel pour le distributeur, la publicité peut être une option attrayante et efficace pour les entreprises entrantes dans leur tentative de surmonter l'avantage du distributeur installé. En outre, le fait que la publicité réduise les coûts de changement de distributeur pourrait signifier que la publicité facilite l'entrée d'une nouvelle marque sur un marché peuplé de consommateurs fidèles à la marque en place, de sorte qu'il pourrait y avoir moins de marques sur le marché des céréales en l'absence de publicité. Dans un deuxième temps, les canaux ne favorisent pas tous de la même manière le changement d’une marque pour une autre. Une publicité persuasive sera moins efficace en ligne qu’en magasin, compte tenu du temps d’exploration des marques systématiquement réduit sur ce support et du besoin de réputation d’une marque nouvelle. En effet, pour les marques non établies il est plus difficile d'attirer l'attention des clients en ligne qu'en magasin. En ce sens, Internet n'apparaît pas du tout comme une menace pour la position dominante des distributeurs historiques, peu importe la publicité investie.Cette troisième observation expliquerait donc également l’absence d’efficacité de la publicité sur un ménage consommant déjà la marque s’il effectue ses achats habituels en ligne par manque de temps.
En définitive, il apparait donc que la publicité est source de débats microéconomiques car les stratégies publicitaires qui prédominent cherchent à influencer subjectivement les consommateurs, impactant directement leur souveraineté et liberté de consommation. L’opposition des notions de publicité informative et publicité persuasive sous-tendent dès lors un débat autour de la réglementation des publicités. D’une part les anti-régulationnistes soutiennent que la publicité sur les caractéristiques du produit peut adoucir la concurrence car elle augmente les possibilités de différenciation des entreprises et la publicité sur les prix peut aussi intensifier la concurrence en prix en rendant les offres des firmes plus transparentes pour les consommateurs. D’autre part, les régulationnistes avertissent sur le fait que la publicité peut inciter à une consommation présentant des risques sanitaires, psychologiques, voire sociaux. Il est dès lors difficile d’apporter un lien de causalité à des données empiriques corrélées à un débat microéconomique. Les points soulignés dans ce travail constituent davantage des pistes de réflexion en vue de développer des indicateurs et modèles permettant de réellement lier la publicité à un renforcement de consommation d’une marque en vue de construire les débats sur la régulation de la publicité.
- Caroline Cottanceau
Références :
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